À l’occasion de la sortie au cinéma du thriller judiciaire The Third Murder, AlloCiné a rencontré son réalisateur, Hirokazu Kore-eda.
AlloCiné : Après plusieurs films consacrés au thème de la famille, vous vous attaquez au drame judiciaire avec The Third Murder ; pourquoi avoir opéré un tel virage avec ce film ?
Hirokazu Kore-eda : À l’origine, je n’ai pas spécialement voulu m’atteler à un nouveau genre, je ne me suis pas dit « tiens je vais tourner un film de procès ou un polar ». Ces 10 dernières années, je me suis concentré sur des sujets qui me tenaient à coeur personnellement, de Still Walking à Après la tempête. Cela me tenait à coeur intimement car j’ai perdu ma mère juste avant Still Walking et ensuite je suis devenu père. Donc la question d’être un fils ou d’être un père était importante pour moi.
Après la tempête Bande-annonce VO
Comme je viens du documentaire télévisé, j’ai eu envie de revenir un peu aux sources avec The Third Murder. J’ai voulu élargir mon champ de vision et m’interroger sur la société japonaise. À l’intérieur de ça, un sujet m’a interpellé plus que les autres, c’est le jugement des hommes par les hommes. J’ai eu envie de mettre en scène un personnage, une histoire, appartenant au milieu de la justice.
80 % de la population japonaise soutient la peine de mort.
On apprend dans le film que la peine de mort est toujours en vigueur au Japon, ce que le grand public ne sait pas forcément. Quelle est votre position là-dessus et celle de la population japonaise en général ?
La peine de mort est toujours en vigueur et 80 % de la population japonaise soutient cela. Pour certains, c’est soi-disant pour des raisons culturelles, traditionnelles. D’autres pensent que c’est nécessaire pour la rédemption des coupables. Certains disent aussi que c’est dissuasif…
Selon moi, ces raisons ne sont pas valables. Je trouve absurde que la peine de mort existe. Cela dit, The Third Murder n’est pas un film contre la peine de mort, ce n’était pas mon intention de traiter ce sujet-là. Cela dit, j’avais un espoir, c’était que les spectateurs ressentent un trouble à la fin du film. Je voulais que le public s’interroge sur la vérité de cette peine capitale qui est une peine absolue. C’est un pouvoir que l’être humain s’approprie, un pouvoir de vie ou de mort sur un autre être humain.
J’avais l’ambition et l’espoir que le spectateur ressorte du film comme le protagoniste Shigemori, c’est à dire un peu perdu et troublé.
Un sujet m’a interpellé plus que les autres, c’est le jugement des hommes par les hommes
Vous jouez avec le spectateur en montrant plusieurs vérités possibles sur l’identité du tueur sans jamais nous donner de réponse claire ? Pourquoi avoir choisi de laisser planer le doute ?
Pour moi, c’est ce qui était le plus proche de la réalité des avocats. Je pense qu’aucun n’avocat n’a jamais de certitudes sur les faits. C’est aussi ce qui permet d’instaurer le trouble que j’ai évoqué tout à l’heure. Jusqu’au bout, le personnage de l’avocat Shigemori s’interroge sur le poids de ses décisions et sur la façon dont il contribue ou pas au verdict final.
Le film fait écho à Rashômon d’Akira Kurosawa et sa façon de montrer un meurtre sous plusieurs angles différents, dévoilant ainsi plusieurs vérités selon la personne qui raconte. Aviez-vous cette référence en tête ?
J’ai évidemment pensé à Rashômon avant de tourner The Third Murder. J’ai aussi revu un film d’Otto Preminger, Autopsie d’un meurtre, et Le Verdict de Sidney Lumet. Ce sont les 3 références principales pour mon film.
Koji Yakusho est le plus grand acteur japonais.
Pourquoi avez-vous choisi Masaharu Fukuyama et Koji Yakusho ?
Concernant Masaharu Fukuyuma, qui joue l’avocat Shigemori, le rôle a quasiment été écrit pour lui. On avait déjà collaboré sur Tel père, tel fils et j’avais beaucoup apprécié son travail. J’ai pensé qu’il serait parfait pour ce rôle précis car c’est un acteur qui a un regard très fort, très expressif. Et dans The Third Murder, il est beaucoup question de regard.
Pour ce qui est de Koji Yakusho, je n’avais jamais travaillé avec lui. Je considère que c’est le plus grand acteur japonais. L’avoir dans mon film me semblait au dessus de mes moyens. J’ai beaucoup travaillé avec des acteurs non-professionnels ou des enfants, pas forcément des comédiens qui ont beaucoup d’expérience. Je n’avais donc jamais vraiment osé lui faire des propositions. Il y a 2 ans, il m’a envoyé une carte de vœux pour la nouvelle année ; il avait juste marqué : « Il sera bientôt temps. » Il n’était pas au courant de mon projet de film. Du coup je lui ai proposé le rôle du meurtrier à ce moment-là.
Comment avez-vous abordé la mise en scène des séquences de parloir ?
C’était très difficile ; que ce soit les scènes dans la salle d’audience ou celles dans le parloir, c’était un vrai défi. Je me disais que je n’aurais jamais dû faire un film comme ça ; habituellement, je filme le mouvement, c’est tout l’intérêt de la mise en scène selon moi. Ici, les gens sont assis et parlent. Très vite, avec le chef-opérateur Takimoto Mikiya, on a décidé de varier la mise en scène à chaque séquence de parloir. Il y en a 7 en tout et toutes filmées différemment.
Pour nous, l’important était de trouver le mouvement dans l’inertie ; il fallait que les 2 personnages se rapprochent au fur et à mesure, réduisent la distance entre eux. Parfois ils s’éloignent, parfois ils regardent dans la même direction, parfois, leurs visages se superposent… les deux protagonistes se reconnaissent l’un dans l’autre, c’est ça qu’il fallait que je réussisse à mettre en scène avec des procédés différents à chaque fois. On s’était donc fixés des règles, par exemple, ne pas filmer Misumi [le tueur] de son côté de la vitre avant la 5ème séquence de parloir. Tout ça pour rendre la mise en scène dynamique.
Traduction : Léa Le Dimna